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Femmes, mépris des prédateurs catholiques intégrises anti charité

Trisomie : une pionnière intimidée

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 03.02.2014 à 16h48 • Mis à jour le 03.02.2014 à 19h00 | Nicolas Chevassus-au-Louis

C’est une injustice vieille d’un demi-siècle qui aurait dû être réparée symboliquement à Bordeaux le 31 janvier. En attribuant, à l’unanimité de son conseil scientifique, son grand prix à Marthe Gautier, 88 ans, la Fédération française de génétique humaine comptait honorer le rôle de la chercheuse dans l’identification, en 1958, du chromosome 21 surnuméraire qui a transformé le mongolisme en trisomie 21.

Mais la Fondation Jérôme Lejeune, du nom du généticien (mort en 1994) qui a également participé à cette découverte, en a décidé autrement : l’intimidation par les huissiers qu’elle a envoyés au colloque de Bordeaux a conduit à l’annulation de la conférence de Marthe Gautier (Le Monde du 3 février). Pourquoi un de ces conflits entre chercheurs sur la paternité d’une découverte qui fait le quotidien des laboratoires rejaillit-il avec une telle violence plusieurs décennies après les faits ?

UN TRAVAIL DE POINTE

L’histoire commence en 1956. Jeune médecin, Marthe Gautier revient des Etats-Unis, où son mentor Robert Debré, grand modernisateur de la médecine française après la Libération, l’a envoyée en stage. Elle devient chef de clinique – une des deux seules femmes à occuperce poste – à l’hôpital Trousseau. Les après-midi sont libres et Marthe Gautier décide de les consacrer à la recherche, une activité encore rare dans le milieu médical français. Son patron, Raymond Turpin, est un des meilleurs spécialistes du mongolisme, comme on dit alors. Il soupçonne depuis longtemps une origine innée de la maladie, mais ne dispose pas d’un laboratoire où tester cette hypothèse.
Aux Etats-Unis, Marthe Gautier a appris à cultiver des cellules humaines. Elle propose à Turpin de mettre en culture des cellules d’enfants sains et d’enfants atteints de mongolisme, puis d’en comparer les chromosomes observables sous microscope. Son patron est immédiatement d’accord. L’expérience semble toute simple. Alors que l’on vient de découvrir que l’espèce humaine a 46 chromosomes, l’étude représente pourtant un travail de pointe et, dans le grand dénuement des laboratoires français des années 1950, un véritable tour de force.

« DU SÉRUM ET DU PLASMA »

Sans soutien, travaillant seule, Marthe Gautier transforme une petite pièce de l’hôpital en laboratoire. « Pour cultiver des cellules, se souvient-elle, il me fallait notamment du sérum et du plasma. Le sérum, eh bien j’ai pris le mien ! Et pour le plasma, je suis allée dans une ferme chercher un coq. Je l’ai installé dans un coin de la cour de l’hôpital, et j’allais le piquer à la veine alaire chaque fois que j’avais besoin de plasma. Cela ne me faisait pas peur, je suis née dans une ferme, j’ai l’habitude des animaux. » Sur la cheminée de son vaste appartement parisien encombré des dossiers de toute une vie de recherche, un coq en faïence témoigne de cette contribution involontaire des gallinacés à la découverte de la trisomie 21.
Début 1958, ses techniques étant au point, elle met en culture les premières cellules de patients atteints de mongolisme. Quelques semaines plus tard, elle découvre qu’elles possèdent toutes un petit chromosome en trop (qui s’avérera plus tard être le 21). Pour la première fois, un retard mental trouve une explication biologique. Jérôme Lejeune, médecin stagiaire du CNRS travaillant également dans le service de Raymond Turpin, a bien compris toute l’importance de la découverte. Il étudie lui-même les dermatoglyphes (les lignes de la main) des retardés mentaux, dans le but d’enfaire un outil de diagnostic, et s’intéresse à la génétique. Lejeune propose d’aller présenter les résultats de sa collègue à un congrès à Montréal auquel il est invité. « Avec mon petit traitement de chef de clinique, je n’avais pas les moyens d’y aller. Et puis j’étais naïve et, à sa demande, j’ai confié à Lejeune mes lames d’observation microscopique de chromosomes pour qu’il les photographie », raconte Marthe Gautier.

EXPULSÉE DE LA PREMIÈRE POSITION

Mais, au congrès, Lejeune présente sous son seul nom la découverte. « Il n’avait pas prévu d’en parler, car sa communication portait sur l’effet mutagène des rayons ionisants. Ce n’est que dans le fil du débat au congrès, pour répondre à un contradicteur, qu’il a été amené à montrer les images de triple chromosome 21 », soutient Marie-Odile Réthoré, directrice médicale de l’Institut Jérôme Lejeune, qui travaillait à l’époque sur les rayons ionisants dans le service de Raymond Turpin.
Puis, en janvier 1959, Marthe Gautier apprend, l’avant-veille de sa publication, que la communication à l’Académie de médecine qui annonce la découverte est signée de Lejeune, Gauthier (l’orthographe de son nom a été écorchée et on l’a prénommée Marie) et Turpin. Elle se retrouve expulsée de la première position parmi les signataires, celle qui, selon l’usage, est réservée au chercheur qui a mené les expériences. « Marthe Gautier a fait un excellent travail de technicienne, mais la vraie réflexion provenait de Lejeune, qui a lui-même rédigé l’article », justifie Marie-Odile Réthoré. Technicienne, une chercheuse ayant réussi l’internat de médecine et formée ensuite à Harvard ? Le propos en dit long sur le machisme ordinaire qui régnait dans le milieu très masculin de la recherche médicale.

« LEJEUNE ÉTAIT AMBITIEUX »

« Lejeune était ambitieux, et il avait besoin de cette signature pour espérer le Nobel, raconte, sans amertume ni rancœur, Marthe Gautier, qui s’éloigne au début des années 1960 de Lejeune pour se consacrer à la cardiopédiatrie. La cytogénétique ne m’intéressait qu’assez peu. Je n’avais pas fait de la médecine pour compter des chromosomes, mais pour soigner des enfants. »
Jérôme Lejeune, lui, poursuit une brillante carrière, créant une école française de cytogénétique, dont il devient la figure de proue incontestée. Dès 1962, il reçoit, seul, le prix Kennedy, doté de près de 200 000 nouveaux francs, pour « sa » découverte de la trisomie 21. Les difficultés commencent lorsqu’il devient techniquement possible de dépister la trisomie 21 in utero. Lejeune réunit les responsables de services de cytogénétique en France et les somme de ne pas pratiquer ce dépistage. Fervent catholique et opposant intransigeant à l’avortement, il voit bien que la possibilité de dépister la trisomie 21 in utero va conduire nombre de femmes à choisir d’interrompre leur grossesse.
Rares sont ceux qui s’opposent, sur le moment, à cet oukase. A partir des années 1970, la croisade de Lejeune contre la contraception et l’avortement en fait une figure de plus en plus contestée politiquement, mais on oublie les conditions de la découverte de la trisomie.

« DISTORSIONS DE LA RÉALITÉ »

Ce n’est qu’en 2007, lorsque l’Eglise envisage de béatifier le chercheur, que l’affaire ressort. Une généticienne britannique, Patricia A. Jacobs, elle-même découvreuse à la fin des années 1950 d’une des premières anomalies chromosomiques, écrit au pape pour l’informer que Lejeune s’est, à au moins deux reprises, présenté publiquement comme le seul découvreur de la trisomie 21. « Les distorsions de la réalité opérées par le professeur Lejeune devraient être sérieusement examinées dans toute discussion sur sa possible béatification », écrit la chercheuse, rejointe par d’autres généticiens britanniques. En France, plusieurs médecins catholiques écrivent à leur évêque dans le même sens. Marthe Gautier est convoquée à l’évêché de Paris pour déposer devant la commission qui instruit le procès en béatification.
La procédure est toujours en cours. Il est permis de penser que la Fondation Jérôme Lejeune est d’autant plus virulente dans sa défense de l’image du chercheur qu’elle conserve l’espoir qu’il sera un jour béatifié. Ce qui semble improbable, s’il se confirme qu’il s’est montré pour le moins indélicat dans ses rapports avec Marthe Gautier.
Dr Catherine Albertini

tavardon Le: 05/02/14