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Résistant Alfred Arnaud et instituteur pouvant changer une vie

St Laurent du Pape occupé, la guerre,
mais un instituteur qui continuait sa mission : Alfred ARNAUD
Témoignage

Né le 6 juin 1900 à Privas, Alfred Arnaud a été élève maître de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Privas, et y a préparé son bachot tout en bénéficiant d’une solide formation pédagogique . St Laurent du Pape a été son cinquième poste. Il s’y est installé en 1937.
J’étais au cours moyen 1ère année à la rentrée scolaire 1944. Les Allemands occupaient le village, des miliciens surveillaient la population. Personne dans la classe, ni nos parents ne se doutait que notre Maître était un résistant de la première heure. Pourtant, en 1943, sans que cela perturbe son emploi du temps d’instituteur, Alfred ARNAUD met en place le ravitaillement du maquis local avec des agriculteurs de St Laurent du Pape et il coordonne la mise en place de groupes Francs Tireurs Partisans qui opèrent des actions de sabotage de voies ferrées sur la ligne Paris Lyon Marseille et des destructions de ponts.

Alfred ARNAUD assurait donc sa classe, il était surveillé par la milice et je pense que son absence aurait entrainé son arrestation : il fut d’ailleurs dénoncé deux fois auprès du gouvernement de Vichy comme suspect avec demande de révocation, mais ces deux demandes n’aboutirent pas (2).
En mai 1944 les opérations de harcèlement de l’armée allemande se multiplient. Privas est libérée par les résistants et le capitaine Alfred Arnaud commande la place d’armes de PRIVAS. La Résistance unifiée faisait partie de l’armée régulière, alors opérationnelle outremer, et les grades attribués par des colonels et généraux de l’armée sont définitifs. Le salaire d’un instituteur était bien petit par rapport à celui d’un capitaine…mais Alfred ARNAUD n’a pas abandonné son poste d’instituteur et n’est pas resté dans l’armée.

La Résistance fut très active dans l’Ardèche. En raison de leurs sacrifices à la cause de la libération de la France , 10 communes ont reçu la Croix de guerre : Annonay, Baix, Banne, Bourg Saint Andéol, Labastide de Virac, Le Cheylard, Les Ollières , Le Pouzin, Tournon, Vallon Pont d’Arc. Le capitaine ARNAUD avait contribué à l’unification de la Résistance , et, en Ardèche l’occupant a connu la peur et la fuite.

En relation avec Paul CHAUDIER, propriétaire de la ferme du CAPET à St Laurent du Pape Alfred ARNAUD contribua à la mise en place et au ravitaillement du maquis du Serre PEYRON, un PC installé dans une ferme abandonnée. Avec ce groupe et aussi d'autres Alfred ARNAUD participa directement au harcellement de l'occupant. L'aviation alliée ne réussissant pas à abattre le pont suspendu de La Voulte sur Rhone, mais tuant des habitants qui recevaient les bombes, Arnaud seul avec le nécessaire pour détruire le pont à la barbe de allemands. Exploit réussi, il ne restait plus qu'un bac à traille...détruit un peu plus tard...

A la retraite, Alfred Arnaud a donné son temps bénévole aux activités de la Mutuelle Générale de l’Education nationale et de la Fédération des Œuvres Laïques de Privas, où il a développé les activités cinématographiques à destination des petits villages.

Il est décédé brutalement le 23 février 1973. Voici un extrait de l’hommage de Jean Coulomb publié dans « l’Emancipation »: (2)

« Il n’a jamais accepté ni avantages personnels ni honneurs ni décorations. Il nous a enseigné beaucoup sans nous faire la leçon. »
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Je peux en dire autant. Il avait la vocation de l’éducation du peuple. Il pratiquait une pédagogie de la réussite, individualisant au maximum son enseignement. Aller en classe était un plaisir pour le Maître et pour chaque élève.

A la base, la confiance, une confiance nourrie par les résultats obtenus. Confiance dans le Maitre qui donnait à chacun le désir d’honorer une sorte de contrat, sans que le mot soit évoqué. Puisque le Maître me faisait sentir que j’étais capable de tel ou tel progrès, je n’avais qu’un désir, le réaliser, pour mériter sa confiance et aussi pour ma propre satisfaction. Le succès donne de l’assurance et l’assurance contribue au succès : le cercle vertueux de la pédagogie de la réussite.

Mon père ouvrier agricole n’avait pas acheté pour la famille un tourne disque (un phonographe) ou une TSF, très chers à l’époque. Personne à St Laurent n’avait bien sûr la télévision. Or, dans la classe, certains de ces nouveaux appareils étaient présents et grâce à eux nous vivions des moments forts. Avant d’apprendre une poésie nous avions la chance de l’écouter sur un phono, dite par un comédien. La séduction de la technique, cette voix venue d’ailleurs, nous émerveillaient. J’entends encore un extrait de « la muse » qui commençait ainsi « Lorsque le pélican lassé d’un long voyage ». Un poème qui nous tirait vers le haut. Musset nous emportait.
Nous disposions d’une bibliothèque de classe, nous lisions avec plaisir un livre par semaine…c’était du reste obligatoire ! La bibliothèque verte… Jules Verne, Hector Malot, Victor HUGO, nous avions le choix.….

En 1946, un petit projecteur de films documentaires nous permettait en retournant nos chaises de voir des « actualités » sur un écran ; je me souviens des fours crématoires et des déportés….Même ce jour-là notre Maitre ne nous dit pas un mot de son action dans la Résistance. Ce n’était qu’un moment fort de la journée, chacun ensuite se replongeait dans son cahier, mais la leçon illustrée par le bout de film était plus vivante et laissait une forte empreinte.


L’école de notre petit village, et aussi probablement de bien d’autres, avait un rayonnement extraordinaire.
A la Libération la culture populaire reprit son développement : le TNP, mais aussi les Fédérations des Œuvres laïques. Alfred ARNAUD, à la retraite à PRIVAS, se passionna pour le cinéma : prises de vue en 16 mm, tournées rurales avec les films de l’OROLEIS…et des actualités.


Après mon CM2 je suis allé à La Voulte sur Rhône au Cours complémentaire qui deviendra plus de 20 ans plus tard le collège. Il n'y a pas de lycée à La Voulte.

J’habitais à 2 km de l’école publique de St Laurent du Pape, à Hauteville, à 7 km de La Voulte, à Hauteville, propriété du Docteur Médecin Philosophe Maurice VERNET, où mon père travaillait comme jardinier. Il était prévu que je serais embauché à mon tour ouvrier agricole ; j’aimais bien aider mon père et je savais me servir de la scie circulaire pour couper le bois au hangar, et même mettre en route le moteur au bord de l’Eyrieux, notre rivière : par une « pique » il pompait dans la nappe phréatique et faisait monter l’eau dans un réservoir qui servait à la fois à l’arrosage et à l’alimentation du château d’Hauteville et de ses dépendances.

Un soir, (j'étais en Troisième), mon ancien Maître Alfred ARNAUD est venu frapper à la porte de notre appartement, à côté du château d’Hauteville. Je ne l’avais pas revu depuis 3 ans. Mon père et ma mère étaient présents, et Monsieur ARNAUD nous fit connaître l’objet de sa visite. Il suggérait que je passe le concours d’entrée à l’école normale d’Instituteurs de PRIVAS. Il devait savoir que j’étais bon élève, régulièrement le premier de la classe au cours complémentaire, grâce à ma moyenne générale.

L’avantage de l’Ecole normale était que nous étions en internat gratuit, nourris et logés, et qu’en plus nous recevions une petite bourse d’entretien. Parce que nous avions confiance en notre Instituteur, nous avons dit « d’accord » ! Je n’avais pas envisagé auparavant d’être instituteur, mais j’avais bien envie de continuer des études, sans pour autant me désespérer si je restais au travail de la terre. A cette époque, les fils d’ouvriers agricoles étaient ouvriers agricoles, les fils d’ouvriers de l’industrie devenaient ouvriers, et les fils de médecins médecins. Mais si mon Instituteur disait que j’étais capable de devenir moi aussi instituteur, j’avais en l’écoutant la certitude que j’y arriverais. La confiance…

Le Directeur du cours complémentaire qui enseignait les mathématiques n’a pas été de cet avis, et ce n’est donc pas le cours complémentaire qui m’a présenté au concours. Il est vrai que j’étais fâché avec l’algèbre et la géométrie et que le seul bachot préparé par l’EN de PRIVAS était scientifique (sciences expérimentales). Mais Alfred ARNAUD s’est occupé de mon dossier de candidat libre, à mon grand soulagement. Ma famille n’aurait jamais osé contester ainsi la décision du directeur du C.C.

J’ai été reçu au concours, et même le seul du Cours complémentaire de garçons cette année-là. Le directeur de l’Ecole normale, Jean PALMERO, avait aimé ma copie de Français, un sujet qui m’avait permis d’évoquer Victor Hugo. J’ai eu des difficultés en mathématiques que j’ai surmontées peu à peu, et je suis sorti major de ma promotion. Alfred ARNAUD ne s’était pas trompé.

Devenu instituteur, je me suis donc mis avant même mon Maître, dès 1955, à l’utilisation du cinéma, à la fois pour illustrer un cours dans ma classe de montagne et pour diffuser la culture le week end, avec salle comble. Films, discussions. La Fédération des Oeuvres laïques fournissait le projecteur, à demeure dans ma classe unique, regroupant tous les niveaux du CP au certificat d’études. Les bobines de films arrivaient par la Poste. Un soir où je passais « Madame Miniver », il a été clair qu’à la fin de la projection l’histoire n’était pas finie. Il manquait une bobine... Bienveillance du public auquel j’ai raconté la fin. Les habitants du village venaient pour se rencontrer, pour l’école, et finalement le film était surtout l’occasion de passer une soirée d’échanges après le film. J’ai appris là l’écoute et j’ai acquis une meilleure connaissance de mes élèves et de leur famille. J’ai évidement conforté mon assurance en public et ma confiance dans ce que je pouvais entreprendre.
La suite illustre le titre du journal syndical que je lisais dans les années 59-65 : l’Ecole libératrice » : J’ai repris mes études, je suis devenu professeur, puis rapidement chef d’établissement. Mon métier de proviseur de gros lycées m’a paru facile grâce à une vie de relations humaines et ma confiance. Il n’est pas exagéré de dire que comme l’a fait Alfred ARNAUD, un instituteur peut changer une vie.

. Je ne doute pas que cela reste vrai dans notre siècle, j’ai la chance de côtoyer les professeurs dans des conseils d’écoles où je siège en qualité de Délégué départemental de l’Education nationale et je me sens très proche d’eux.

.
Claude Barratier

tavardon Le: 05/04/18